Entretien
avec
Yves
CATEZ
1) Doù êtes-vous originaire ?
Je suis originaire du canton de Desvres, dun petit village de cent habitants qui
sappelle Bainghen.
2) Où habitez-vous ?
Jhabite à Landrethun-les-Ardres depuis 20 ans.
3) Avez-vous toujours habité à cet endroit ?
Jai habité deux ans à Licques et deux ans à Lostebarne.
4) Quel est votre métier ?
Mon métier, cest artisan. Artisan maçon.
5) Quelles études avez-vous faites ?
Mes études sont simples. Ce sont deux CAP (Certificat dAptitude Professionnel). Un
CAP en menuiserie, en trois ans, et un CAP en maçonnerie, en trois ans.
6) A quel endroit ?
Au Collège dEnseignement Technique de Lumbres.
7) Avez-vous suivi dautres formations ?
Non, je nai suivi aucune autre formation.
8) Continuez-vous à vous former ?
Non, justement, cest un petit problème dans nos métiers. Cest lun des
soucis de lartisan.
9) Avez-vous toujours désiré faire ce métier ?
Oui. Cette envie est venue au fur et à mesure. Elle est venue par le contact humain avec
les gens, par le contact physique avec les matériaux. Cest alors devenu quelque
chose de très important, ce métier dartisan.
10) Quand et comment cette envie a-t-elle débuté ?
Cette envie est venue lorsque jétais très jeune, vers 10/12 ans. Chez mes parents,
jai eu la chance de voir des artisans venir restaurer comme il y a une trentaine
dannées. On restaurait alors un peu à la fois et jai pu, en mamusant
en quelque sorte, participer aux travaux des artisans menuisiers surtout. Jai pu
leur donner un petit coup de main. Cétait une approche très, très forte du
véritable artisan.
11) Travaillez-vous seul ?
Oui. Ça fait 22 ans que je travaille comme artisan et, pendant 12 ans, nous avons fait
une entreprise générale cest à dire que nous avons eu 8 personnes salariées. Et
puis, suite à diverses circonstances, jai décidé de revenir au réel travail que
je préfère et jai donc redémarré seul.
12) Votre profession vous plaît-elle ?
Oui. Ma profession me plaît beaucoup, énormément. Même si la notion dartisan
nest plus du tout la même quil y a 20 ans. La notion dartisan est
quelque peu défigurée. On profite également du nom dartisan mais ce nest
plus le véritable métier dartisan dantan pour beaucoup. Je pense être
resté un véritable artisan.
13) Est-ce un métier difficile ?
Cest un métier très difficile. Très physique. Cest pourquoi il faut aborder
ce métier délicatement car il est très exigeant. Il faut voir les bons côtés.
Cest vrai que cest un métier sale mais il faut savoir écarter ces mauvais
côtés au profit des bons.
14) Avez-vous travaillé pour dautres entreprises ?
Oui. Jai travaillé pour deux entreprises. La première était une entreprise de
famille car, dans la famille, nous sommes cinq maçons. Mon frère aîné a donc créé
une entreprise générale. Suite à son arrêt, après une dizaine dannées, je suis
allé travailler chez un artisan, Monsieur DUVIVIER, à Nordausques avant de
minstaller.
15) Dans quel secteur géographique travaillez-vous ?
Cest très simple. En gros, cest le secteur Calais/Ardres. Mais cela à cause
de ma situation, du fait que je suis seul. Je me limite à lArdrésis. Mais, avant,
il y a 2/3 ans, je travaillais de Marquise à Saint-Omer. Cétait une quarantaine de
kilomètres autour de Landrethun car nous étions 8 personnes et il fallait trouver des
chantiers même éloignés.
16) Quels sont les types de vos clients ?
Chez nous, il ny a pas de sous-traitance, alors ce sont des clients particuliers. Je
nai jamais fait de sous-traitance. La sous-traitance, cest une société qui
recherche du travail et qui le donne à faire à lartisan. Lartisan na
alors pas le contact initial avec le client. Moi, je préfère ce contact alors je ne fais
pas ce type de travail. Pour des particuliers, jai déjà construit 25 maisons
individuelles traditionnelles en briques. Des belles maisons
17) Quels genres de travaux faites-vous ?
A lheure actuelle, je me contente de la rénovation. Pose de carrelage, arrangement
de salle de bain, couverture, charpente, etc. Ce que jadore, cest refaire de
la charpente traditionnelle, de la zinguerie, de la plâtrerie. Je rénove. Je transforme,
jaméliore les habitations. Jaime ça car on redonne un cachet, une âme à la
maison. Cest beaucoup plus intéressant que de faire du neuf. Le neuf, ce sont des
lignes. On a des obligations, des plans, etc.
18) Comment vos chantiers débutent-ils ?
Justement, là, il y a une confiance qui doit sinstaller et le mot artisan prend
tout son sens. Par rapport aux grosses entreprises, un monde nous sépare. Les gens te
donnent un travail à faire et ils ont confiance. Ils savent que la réalisation sera
parfaite. Cest la valeur de lartisan. Il faut apprendre à connaître le
client et savoir ce quil attend. On ne peut pas intervenir chez les gens sans
connaître leur personnalité. Lorsque les gens ressentent la confiance, ils te laissent
travailler.
19) Comment percevez-vous vos clients ?
Moi, jai de la chance. Mes clients, ils sont parfaits. Je travaille avec eux, ils
apprennent à me connaître, moi, japprends à les connaître, alors, on entretient
une confiance mutuelle. On a un contact fort. On parle. Je ne pourrais pas travailler avec
des gens qui nont pas de communication. Jaime bien savoir ce que les gens
pensent de mon travail et, sil y a un problème, je rejoins le client dans son
optique. La qualité du travail est essentielle. Après, cest le bouche à oreille
qui travaille pour moi. Cest ma publicité. Dautre part, chez nous, un choix
fort a été fait. Les gens recherchent parfois un produit mais sans avoir le sens des
valeurs. Souvent, ils cherchent un produit effectué rapidement mais sans avoir une
connaissance de la valeur des choses. Si les clients font appel à nous, cest pour
avoir un produit différent.
20) Avez-vous déjà eu des accidents ?
Il y a deux ans, je suis tombé de trois mètres et ça ma valu presque un an
darrêt. Ça ma coûté le prix de lentreprise. Ce sont les vertèbres
qui ont été touchées. Cest alors que jai pris la décision de repartir plus
simplement. Je suis également tombé de neuf mètres de hauteur en transformant
lhospice de Guînes en réfectoire. Je suis tombé à plat sur le dos. Pendant trois
semaines, je nai pas pu parler. Je ne pouvais respirer que le minimum. Jétais
à moitié mort. Mais, jai refait surface. Ma chance a été dêtre jeune à
lépoque. Maintenant, ce ne serait plus pareil. Mais il ne faut pas voir ces côtés
négatifs. On a un beau métier. Le mot essentiel, cest la passion. Il faut aimer ce
que lon fait. Pour devenir quelquun de bien, il faut respecter celui qui veut
te former. Il faut sinspirer de ce quil fait. Je pense quil faut
attendre lâge de 30 ans pour être un artisan au point. Le métier
dartisan est défiguré par le fait de la productivité. Lessentiel,
cest de savoir travailler. Il faut savoir sarrêter sur le travail que
lon fait. Savoir aussi sarrêter sur des ouvrages réalisés par les autres ou
les anciens pour découvrir comment ils ont été conçus. A partir de là, on ouvre des
portes. Chez nous, la curiosité est très importante. Sinon, pour en revenir aux
accidents, jai bien sûr aussi eu quelques petits accidents plus bénins.
21) Avez-vous le vertige ?
Vous voyez, jai 49 ans. Il y a 10 ans, je montais encore partout, je navais
aucune crainte. Aujourdhui, tout est mesuré. Je monte encore partout, je fais
toutes les hauteurs, mais je prends beaucoup plus de temps. Je mesure tous les dangers.
Cest lâge qui te donne ça. Maintenant, je mets toutes les sécurités. Il y
a 10 ans, je montais sans rien, sans protection. Je ne voyais aucun danger. De plus,
maintenant, je ne ferai jamais monter quelquun sans avoir testé moi-même.
Cest moi qui monte en premier et celui qui est avec moi montera si jestime
quil ny a pas de danger. Il y a un âge pour tout. Quand on est jeune, on ne
voit pas le danger. En vieillissant, on mesure tout.
22) Faites-vous souvent de la publicité ?
Oui. Jai fait de la publicité mais jamais dans les journaux. Je lai faite par
le biais des associations. Notre nom apparaît sur les affiches. Cest plutôt pour
aider. La vraie publicité, cest le travail. Cest le travail bien fait. Ce
sont les gens qui font ma publicité.
23) Refusez-vous souvent certains travaux ?
Je dirai non. Mais je refuse les gros travaux urgents. Les gros travaux sans concertation
ni planning, je les refuse. Ça, cest le défaut de lartisan, il faut
planifier son travail dans le temps. Les gens doivent comprendre ça. On peut accepter
tous les travaux car on sait les faire, on a de lexpérience, mais si on ne peut pas
les planifier on ne les accepte pas. On ne peut pas servir le client dans lurgence
sur de gros travaux sans planification ni concertation. Ce nest pas le travail que
je refuse, cest la manière de faire. Je pense faire sourire quelques clients ici.
24) Prenez-vous des apprentis ?
Oui. Jen ai pris en permanence. Mais le reproche que jai vis à vis
deux, cest que le temps dapprentissage est trop court. Ce nest pas
de leur faute, cest la faute au système denseignement. Les apprentis passent
ici trois semaines, cest renouvelé souvent, mais cest trop court. Lorsque le
jeune est prêt pour vraiment acquérir le métier, il sen va. Ce nest pas un
vrai apprentissage. Lorsque lactivité était forte, jen ai eu deux à trois
en même temps. Ils sont, pour la plupart, restés dans le métier. Dans des grosses
entreprises, pour le salaire souvent. Un jeune doit se former. Lorsquil quitte
lapprentissage, après deux ans de formation, il connaît le métier mais il a
encore beaucoup, beaucoup à apprendre. Cest un grand monde, le métier. Un jeune ne
peut pas être artisan de suite. Il faut être plus assuré quun jeune qui sort de
lécole pour être artisan. Il faut voir beaucoup dautres choses. Notre
métier ne se limite pas à savoir poser une brique.
25) Formez-vous des jeunes en dehors des apprentis ?
Oui. Je forme des jeunes. Mais pas pour notre entreprise. Moi, ce que je veux, cest
former entièrement un jeune. Quil devienne un réel collaborateur et quil
désire réellement apprendre son métier. A lheure actuelle, je suis plus vigilant
par rapport à ça. Je vois ça directement avec les parents et le jeune. Je veux des gens
sérieux auprès de moi sachant quil saura réellement faire quelque chose plus
tard.
26) Pensez-vous quil y ait assez de maçons en France ?
Oui, je pense. Même si les statistiques disent que non parce que le bâtiment est devenu
énorme et que le métier a été délaissé en quelque sorte. Suite à lévolution
du bâtiment, il en manque, cest sûr. Maintenant, en trois mois de temps, on te
forme un maçon. Cest le maçon de base, ce nest pas lartisan maçon. Le
maçon de base, cest celui à qui on dit : "tu fais ceci, tu fais
cela". Mais il faut passer par là de toute façon.
27) Pensez-vous que le métier soit attractif ?
Le métier est attractif à une seule condition : que lon puisse évoluer.
Cest le point fort des artisans : intégrer et utiliser toutes les
connaissances et les techniques quon acquiert au fur et à mesure. Là, ça devient
un plaisir considérable.
28) Pensez-vous que la profession dartisan soit bien
perçue ?
Oui. Le mot artisan est bien perçu mais il faut quil soit respecté par les
artisans eux-mêmes. Lartisan doit avoir une relation directe avec le client. La
confiance doit sinstaller autour dun ouvrage entre les deux parties. Lorsque
les gens nous appellent, on sait quils recherchent un artisan et non une grosse
entreprise.
29) Pensez-vous que le métier dartisan, en général, soit un
métier facile ?
Non, on ne peut pas dire quil soit facile. Il faut être volontaire. Une grosse
société, elle, répartit le travail. Lartisan, lui, il gère presque tout.
Lartisan, il fait le travail proprement dit, la gestion, le relationnel, etc. Il
fait tout. Cest quelquun de complet mais ça prend beaucoup de temps, parfois
12 heures par jour. Dans une grosse société, on se répartit le travail, la vie est plus
aisée.
30) Avez-vous beaucoup de matériel ?
Jai toujours du matériel lourd. Je le conserve. Il me servira.
31) Où vous approvisionnez-vous quant à vos matières
premières ?
Les matières premières, je les prends chez un petit négociant près de Colembert. Je
mefforce toujours de mapprovisionner chez les petits négociants.
32) Quels sont les produits que vous achetez-vous le plus ?
Là, cest simple. Ciment, sable, chaux, briques. Ça, cest la priorité,
cest la grosse commande de lannée. Après, il y a les tuiles, le plâtre,
etc. Pour les outils, on a un métier très simple. Lorsque jai débuté, jai
commencé avec une caisse à outils marteau, truelle, fil à plomb une pelle
et une petite voiture. Jai débuté avec ça donc, au départ, cest très
basique. Pour sinstaller, cest sûrement lun des métiers les moins
onéreux. Après, il faut penser au bureau et au reste mais, initialement, le matériel
est extrêmement simple.
33) Conseillez-vous cette profession à des enfants ?
Sincèrement, oui. Mais il faut respecter ce métier. Je le conseille. Je serais heureux
de savoir, un jour, que lun de vous est du métier. Je pourrais même le former.
Mais seulement sil respecte le travail en sy investissant à fond. Sinon, ce
nest pas la peine. Je suis très dur avec ça.
34) Pensez-vous que lapprentissage du métier soit
correctement mené ?
Après avoir rencontré les établissements dapprentissage, suite à divers
problèmes avec les élèves, je peux dire quil existe deux établissements qui se
détachent : Hesdigneul-lès-Boulogne et Lumbres. Parfois, nous avons eu des
apprentis dautres établissements mais il y avait des tolérances énormes des
établissements. Elles étaient parfois négatives sur les chantiers. Pas de respect du
travail, de louvrage, de la matière.
35) Pensez-vous que les métiers manuels soient assez
valorisés ?
Non je pense que, pour avoir de bons apprentis, il aurait fallu augmenter le salaire
minimum et pouvoir rémunérer ses apprentis au mieux. Il faut que les jeunes puissent
avoir une vraie fiche de paie. Pour un vrai métier, il faut un vrai salaire. Il faut que
les jeunes puissent progresser en salaire jusquà leur 18 ans.
Quel genre de musique préférez-vous ?
Jadore le classique et aussi le rocknroll.
Quel genre de films préférez-vous ?
Les films comiques, jaime bien rigoler.
Quelles sont vos lectures préférées ?
Mon livre préféré, cest un livre dEugène LEROY : "Jacquou le
Croquant". Je lai lu et relu.
Quels sont vos loisirs préférés ?
Jen ai peu mais cest le VTT. Quand je peux méchapper, cest au
bois de Guînes.
Quels sont vos plats préférés ?
La poule au riz.
Quel est votre meilleur souvenir de voyage ?
Je nen ai pas beaucoup. Mon meilleur souvenir, cest en classe de neige, comme
accompagnateur, il y a une dizaine dannées, avec Monsieur RATEL (directeur de
lécole de Landrethun à lépoque), dans les Pyrénées.
Quelle est votre destination rêvée ?
Cest de pouvoir profiter de la vie et de visiter la France entièrement.
Entretien réalisé le jeudi 9 décembre 2004.
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